Suppression ZFE : la fin d’un dispositif punitif et inefficace
- Justice & réglementation
- Nantes


La récente décision de l’Assemblée nationale concernant la suppression des Zones à Faibles Émissions (ZFE) marque un tournant majeur dans la politique environnementale française. Adoptée le 28 mai 2025, cette mesure suscite de nombreuses réactions et met en lumière les limites d’un dispositif controversé depuis sa mise en place.
Les mesures écologiques doivent être incitatives et non coercitives pour être acceptées par la population.
La suppression des ZFE : une décision transpartisane
L’Assemblée nationale a approuvé la suppression des “zones à faibles émissions” en adoptant un article du projet de loi de “simplification”. Cette initiative, introduite en commission à l’initiative de la droite (LR) et de l’extrême droite (RN), a finalement réuni une majorité transpartisane incluant également des députés de La France Insoumise et certains membres du camp présidentiel, pourtant à l’origine de cette mesure lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron.
Cette large coalition témoigne d’un malaise profond face à un dispositif qui, bien que conçu pour améliorer la qualité de l’air dans les grandes agglomérations, s’est rapidement heurté à des critiques venant de tous les horizons politiques. Ian Boucard, député LR, résume cette position : “Tout le monde est pour améliorer la qualité de l’air. Mais nous pensons que ça ne peut pas se faire au prix de l’exclusion sociale”.
Le caractère punitif des ZFE : une fracture sociale manifeste
Les ZFE, instaurées en 2019 dans le cadre de la Loi Climat et résilience, visaient à limiter les émissions de particules fines en excluant progressivement les véhicules les plus polluants des centres urbains. Ces véhicules, identifiés par les vignettes Crit’Air 3 ou plus selon les villes, correspondent souvent aux modèles les plus anciens.
Une mesure qui pénalise les plus précaires
La critique principale adressée aux ZFE concerne leur impact disproportionné sur les populations les moins favorisées. En effet, ce sont généralement les ménages aux revenus modestes qui possèdent les véhicules les plus anciens, faute de moyens pour investir dans des modèles récents ou électriques.
Cette réalité crée une situation où l’amélioration de la qualité de l’air se fait au détriment de l’inclusion sociale, forçant certains citoyens à choisir entre se mettre en infraction ou renoncer à leur mobilité. Manon Meunier, députée LFI, a d’ailleurs qualifié les ZFE de “mesure très mal faite, qui crée énormément d’inégalités sociales” face à un “véritable problème de pollution de l’air” qu’elle ne conteste pas.
Cependant, la France fait partie des 5 pays les plus vertueux au monde en matière d’émissions de CO2.
Des alternatives insuffisantes
Si des aides à la conversion ont été mises en place pour accompagner la transition vers des véhicules moins polluants, elles sont jugées largement insuffisantes par rapport au coût réel d’acquisition d’un véhicule neuf ou récent. De plus, les transports en commun, souvent présentés comme l’alternative idéale, ne répondent pas toujours aux besoins de mobilité des personnes concernées, notamment dans les zones périurbaines mal desservies.
Lisa Belluco, députée écologiste, reconnaît elle-même qu’il s’agit d’un “dispositif utile qu’il faut étoffer avec des mesures d’accompagnement pour que leur mise en œuvre soit mieux acceptée”. Cette admission, venant d’une élue dont le groupe a pourtant voté contre la suppression, illustre bien les limites du dispositif actuel.
L’inefficacité contestée des ZFE
Au-delà de leur caractère socialement discriminant, c’est l’efficacité même des ZFE qui est remise en question par leurs détracteurs.
Des résultats environnementaux discutables
Si le Ministère de la Transition écologique défend l’utilité des ZFE en rappelant que “la pollution de l’air est à l’origine de près de 40.000 décès prématurés par an” et que “les zones à faibles émissions ont contribué à baisser ces décès précoces”, l’impact réel de ces zones reste difficile à quantifier précisément.
Pierre Meurin, député RN, va jusqu’à affirmer que les ZFE “ne servent à rien”, une position certes radicale mais qui reflète un sentiment partagé par de nombreux citoyens qui ne perçoivent pas d’amélioration tangible de la qualité de l’air dans leur quotidien malgré les contraintes imposées.
Une application inégale et confuse
L’application des ZFE varie considérablement d’une agglomération à l’autre, créant une confusion pour les usagers et rendant difficile l’évaluation globale du dispositif. Certaines métropoles ont mis en place des contrôles stricts, tandis que d’autres ont opté pour une application plus souple ou des dérogations multiples.
Cette hétérogénéité dans l’application des règles a contribué à l’impression d’une mesure mal conçue et insuffisamment coordonnée au niveau national. La ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, avait d’ailleurs proposé sans succès une solution de repli visant à limiter les ZFE aux seules agglomérations lyonnaise et parisienne, avec “toute une batterie d’exceptions à la main des collectivités”.
Les conséquences potentielles de la suppression des ZFE
Si la suppression des ZFE représente un soulagement pour de nombreux automobilistes, elle n’est pas sans conséquences potentielles, tant sur le plan environnemental que juridique et financier.
Des risques de sanctions européennes
La France s’expose à de nouvelles sanctions en supprimant les ZFE.
La Cour de justice européenne avait condamné la France en 2019 pour des manquements sur la qualité de l’air et a adressé l’année dernière une nouvelle lettre de mise en demeure. Un cadre du bloc central gouvernemental ne cache pas son inquiétude : “Ça va nous coûter cher si c’est confirmé”.
Un avenir incertain pour la mesure
Malgré le vote des députés, la suppression des ZFE n’est pas encore définitive. Plusieurs étapes doivent être franchies avant que cette décision ne devienne effective :
- Les députés doivent encore étudier les 623 amendements restants avant de voter le projet de loi complet.
- Le texte doit obtenir la majorité lors du vote final.
- La mesure pourrait être censurée par le Conseil constitutionnel, certains députés estimant qu’elle pourrait être considérée comme un “cavalier législatif” (une mesure trop éloignée du texte initial).
L’entourage de la ministre de la Transition écologique reste prudent : “Sur les suites, c’est trop tôt pour en parler. Le débat parlementaire doit aller à son terme”.
Vers des alternatives plus équitables ?
La suppression des ZFE, si elle se confirme, ne signifie pas pour autant l’abandon de toute politique de lutte contre la pollution atmosphérique. Elle invite plutôt à repenser les modalités d’action pour concilier impératifs environnementaux et justice sociale.
Des mesures d’accompagnement renforcées
Une approche plus progressive et mieux accompagnée pourrait constituer une alternative aux ZFE actuelles. Cela passerait notamment par un renforcement significatif des aides à la conversion, adaptées aux revenus des ménages, et par un développement accéléré des transports en commun et des infrastructures pour les mobilités douces.
Une responsabilité partagée
La lutte contre la pollution de l’air ne peut reposer uniquement sur les restrictions imposées aux particuliers. Une approche plus globale impliquerait également les entreprises, les collectivités et l’État dans un effort collectif et coordonné.
Conclusion : la fin d’un modèle contesté
La suppression des ZFE, si elle est confirmée par l’adoption définitive du projet de loi, marquera la fin d’un dispositif qui, malgré ses intentions louables, n’a pas su trouver l’équilibre entre ambition environnementale et acceptabilité sociale.
Cette décision rappelle que les politiques environnementales ne peuvent être efficaces que si elles prennent en compte les réalités socio-économiques des citoyens qu’elles concernent. La transition écologique ne peut se faire contre les populations, mais doit au contraire les inclure dans une démarche collective et solidaire.
L’échec relatif des ZFE devrait servir de leçon pour l’élaboration des futures politiques environnementales, qui devront trouver des moyens plus équitables et plus efficaces de réduire notre impact sur l’environnement sans creuser davantage les inégalités sociales.
Les mesures écologiques doivent être incitatives et non coercitives pour être acceptées par la population.
Sources
– Le Figaro. (2025, mai 28). Véhicules thermiques : l’Assemblée nationale approuve la suppression des «zones à faible émission». https://www.lefigaro.fr/actualite-france/vehicules-thermiques-l-assemblee-nationale-approuve-la-suppression-des-zones-a-faible-emission-20250528
– BFMTV. (2025, mai 29). Suppression des ZFE: pourquoi le retour en arrière n’est pas garanti malgré le vote des députés. https://www.bfmtv.com/politique/parlement/suppression-des-zfe-pourquoi-le-retour-en-arriere-n-est-pas-garanti-malgre-le-vote-des-deputes_AN-202505290411.html
– Le Monde. (2025, mai 29). La suppression des ZFE votée par les députés, un camouflet pour le gouvernement, une « régression » pour les défenseurs de l’environnement et la santé. https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/05/29/la-suppression-des-zfe-votee-par-les-deputes-un-camouflet-pour-le-gouvernement-une-regression-pour-l-environnement-et-la-sante_6609044_3244.html
– Marianne. (2025, mai 29). “Séparatisme territorial” : les députés votent la suppression des zones à faibles émissions (ZFE). https://www.marianne.net/societe/ecologie/separatisme-territorial-les-deputes-votent-la-suppression-des-zones-a-faibles-emissions-zfe
– Les Echos. (2025, mai 28). Pollution automobile : les députés confirment la suppression des ZFE. https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/pollution-automobile-les-deputes-confirment-la-suppression-des-zfe-2167898